Prendre soin de la Terre

Les racines du monde

« Et si penser le monde de demain puisait ses sources dans les racines de l’humanité ? »

Où trouver la sagesse qui permette de freiner la folle course de l’humanité vers sa destruction ? Sur quelles bases poser nos réflexions et nos actions dans ce monde où les informations font des courses de vitesse ? Quelles sont les racines du monde ? 

Dans « Paroles des peuples racines – Plaidoyer pour la Terre » (éditions Actes Sud, Domaine du Possible), Sabah Rahmani donne la parole à celles et ceux dont les racines sont profondément reliées à la Terre et dont le cœur vibre avec la nature. 

Les peuples que l’on nomme « premiers » ou encore « racines », « autochtones » ou « indigènes » ont beaucoup à nous apprendre pour retrouver le lien sacré qui nous lie à notre belle planète et à ses merveilles. 

Si les peuples racines ont longtemps été considérés comme des « sauvages » par notre civilisation, méprisés, tués, violentés et soumis à l’acculturation, notre regard change aujourd’hui radicalement. Beaucoup d’entre nous voient en eux les « gardiens de la nature », qui savent lire les moindres signes de leur environnement, qui connaissant parfaitement le cosmos, et qui portent une sagesse ancestrale. 

  • Racheter leurs terres

Ma première rencontre avec des indiens Kogis date de 2004, au colloque « Écologie et Spiritualité » organisé dans les montagnes de Savoie. C’était la première fois que des Kogis venaient en France. Les Kogis-Kagabas vivent dans les montagnes de la Sierra Nevada de Santa Marta en Colombie. Devant l’assemblée du colloque, composée en grande partie de personnalités du monde de l’écologie et de différents courants spirituels, les Kogis-Kagabas ont expliqué leur besoin d’acheter leur terres ancestrales, celles sur lesquelles se trouvent leurs lieux sacrés, d’acheter des terres pour y vivre « légalement » et en toute autonomie. Ils ont parlé de leur terre, de leur mission de préserver chaque jour l’équilibre du monde. Ils ont expliqué la nécessité de récupérer leurs terres avec notre aide financière. 

Debout au fond de la salle, j’ai spontanément effectué le même geste que toutes les autres personnes présentes dans l’assemblée : nos mains se sont toutes en même temps dirigées vers nos poches ou nos sacs pour contribuer à ce que les Kogis puissent acheter leur terre. Ce geste nous rapprochait d’eux, nos « grands frères » (ils nous appellent avec tendresse « les petits frères », puisque nous faisons quand même beaucoup de bêtises). Ce geste était aussi un pas pour réparer un peu de ce que nos ancêtres avaient détruit. Moment magique…

Depuis, l’association Tchendukua créée par Eric Julien continue d’accompagner les achats de terre et à faire le lien entre « ici et ailleurs ». 

  • Écouter leurs messages

Sabah Rahmani nous fait partager les paroles de 19 représentants de peuples racines, qui partagent un mode de vie ancestral intimement relié à la nature et une vision commune du futur.  Qu’ils vivent dans la forêt amazonienne ou dans le désert, qu’ils soient chamanes, militants, chefs, jeunes ou expérimentés, leurs paroles et visions du monde sont une source d’inspiration. 

Voici quelques unes des réflexions et évidences partagées par ces peuples. Peut-être peuvent-elles être des pistes qui nous aident à revenir à notre nature d’êtres humains ? 

  • Tous ces peuples constatent la dégradation que notre civilisation inflige à la Terre. 

Cela permet de s’interroger sur ce que cela signifie d’être civilisé. 

« Nous sommes très inquiets car la forêt primaire est devenue une marchandise à exploiter. Or la nature n’est pas une ressource morte, elle est vivante ! Nous la sentons, nous sommes profondément liés à elle et nous souffrons sincèrement du mal que l’homme lui inflige ». (Peuple Ashaninka, Pérou). 

Marishöri Samaniego Pascual

« Les occidentaux prennent, prennent, prennent mais ne rendent jamais rien en retour à la nature. Ils en abusent. (…) Combien de fois disent-ils merci ? » (Peuple Déné, Canada). 

« A cause du réchauffement climatique, les averses sont devenues plus importantes dans un laps de temps très court. (…) des inondations dans les montagnes, c’est normalement impossible, mais la terre a glissé car les pluies sont devenues beaucoup trop importantes » (Peuple Popora, Taiwan). 

« Avant la colonisation et la grande destruction de l’environnement, les Tolinous étaient un peuple qui vivait d’agriculture et de chasse au sein de forêts sacrées » (Peuple Tolinou, Bénin). 

« Le Brésil tue ses racines, ses matrices : c’est un crime ! J’aimerais que les camarades nous écoutent pour faire pression sur chaque ambassade en Europe, en Asie, en Afrique, en Amérique….Telle est notre position politique ». (Peuple Tukano, Colombie, Brésil)

« Aujourd’hui, le changement climatique est devenu LE grand problème. Dans la zone de l’Arctique où nous vivons, le climat se réchauffe plus vite et plus fort que dans le reste du monde, au moins deux fois plus vite. Et si nous perdons notre neige et notre glace, nous perdrons tout ce qui nous permet de survivre. » (Peuple Sami, Finlande)

By: The Library of Congress

« Aujourd’hui, notre peuple est lui aussi exposé aux effets de ce que l’on appelle la « modernité » et du capitalisme sauvage des sociétés industrialisées. (…)(le modèle) des sociétés occidentales propose une vie individualiste, égoïste, ne respectant ni la terre, ni les forêts, ni les montagnes et où le sacré n’a pas de place ; l’ambition d’une société malade qui n’a pas de futur…. » « Nos forêts, quant à elles, se réduisent chaque année parce qu’une grande quantité de bois est exploitée par les forestiers et les multinationales. Nos communautés sont même parfois punies d’emprisonnement pour avoir utilisé du bois pour cuisiner, comme cela se fait au sein de notre mode de vie traditionnel » (Peuple Otomi, Mexique).

« L’occupation et la spoliation des aires pastorales par les compagnies minières, qui refusent le droit au campement aux éleveurs, sont donc un véritable problème pour le mode de vie traditionnel des Touaregs, qui fréquentent ces espaces depuis des générations. (…) On aurait pu laisser dormir cet uranium dans le sous-sol parce qu’on s’en moque ! Cela fait cinquante ans que l’entreprise française Areva exploite l’uranium au Niger. (…) Dans une région boisée, jadis propice à l’élevage, la radioactivité contamine l’eau, pollue l’environnement et dessèche les plantes, des animaux meurent et certaines personnes développent des maladies.» (Peuple Touareg, Niger)

« Aujourd’hui, la situation s’est aggravée, puisque nous devons aussi nous battre pour défendre les forêts face aux grandes entreprises forestières qui surexploitent les arbres et polluent l’environnement. » (Peuple Mapuche, Chili)

« Nous sommes également confrontés à l’extraction des ressources par les industries minières qui violent les droits de notre peuple, avec l’exploitation du pétrole et du gaz. 70% de nos terres ont été confisquées, vendues ou même volées ». (Peuple Massaï, Kenya)

« J’ai l’impression que la spécialité des Blancs, c’est de couper des arbres et de demander à l’oiseau qui était tranquillement au sommet de l’arbre pourquoi il est tombé… » « Ce sont les Blancs qui ont provoqué le changement climatique en surexploitant la planète, et désormais tout le monde est touché. Parce que ce sont toujours des Blancs qui viennent avec des sociétés qui exploitent les terres des autres. » (Peuple Huli, Papouasie-Nouvelle-Guinée)

« En plus de tous ces dangers, l’homme blanc est venu corrompre les gens. Il est allé dire aux chefs des villages : « Regarde, voilà de l’argent pour que tu achètes des choses (…) ». Ceux qui avaient un esprit plus faible finirent par accepter. Contaminés, ils ont vu leur vie détruite ». (Peuple Kayapo, Brésil). 

« (Les forestiers) abattent une quantité énorme d’arbres et dévastent au passage la forêt, sans se préoccuper de notre vie qui en dépend. Ils ignorent que pour nous les arbres qui engendrent d’autres arbres avec leurs fruits sont comparables à des êtres humains qui engendrent des enfants. Détruire les arbres mères équivaut à tuer toutes les femmes ! La situation est grave. » (Peuple Pygmée, Gabon)

« Que se passe-t-il avec les frères blancs ? Ils arrivent, détruisent les montagnes, les arbres, les rivières, puis appauvrissent les animaux et les oiseaux qui ne peuvent plus se nourrir parce que les arbres ont été coupés…Ils ne savent pas ce qu’ils font. » (Peuple Kogi, Colombie). 

« Notre peuple est très inquiet car nous souffrons beaucoup de cette déforestation dans nos montagnes. Il ne pleut plus et aujourd’hui, il faut marcher de longues heures, voire la journée, pour trouver nos remèdes médicinaux dans les forêts. Presque toutes ont été détruites et nos terres confisquées. » (Peuple Kariri-Xoco, Brésil). 

  • La Terre Mère est remerciée pour être si prodigue. 

Les peuples racines ont également en commun la gratitude pour ce que nous offre notre Mère la Terre.

Ainsi, les peuples racines ne prélèvent que ce dont ils ont besoin : « Et parce que nous respectons profondément la Terre Mère, nous lui demandons toujours la permission de prélever ce qu’elle nous offre » « Nous savons utiliser les richesses de la Terre Mère en préservant son équilibre. Nous savons nous en servir sans la violer ». (Peuple Ashaninka, Pérou). « Nous attachons une grande valeur à la nature parce qu’elle est sacrée. Elle nous donne tout. Notre nourriture vient de la terre, notre eau vient de la terre, nos prières se font avec la terre… » « Nous vivons un lieu proche et passionné avec cette nature, source de vie » (Peuple Massaï, Kenya)

« Nous sommes les premiers habitants du Brésil avant d’autres peuples indigènes d’Amazonie. Notre planète a été créée pour que nous l’occupions avec nos différentes cultures, avec nos différents modes de vie, elle n’a pas été créée dans le but d’utiliser des technologies et des inventions pour détruire la nature, ce n’est pas notre culture. Notre culture est de vivre, pas de détruire ! » (Peuple Kayapo, Brésil). 

« Nous alternons ainsi chasse et pêche, d’une semaine à l’autre, lorsque les esprits de la forêt nous l’autorisent. (…) Nous prélevons juste ce dont nous avons besoin pour faire vivre notre famille. » (Peuple Pygmée, Gabon). 

« Car la Terre Mère, la mère des arbres et des animaux, et tous les êtres de la nature ont aussi besoin de dons venant de notre part. Nous les « payons » spirituellement, pour les remercier de ce qu’ils nous offrent matériellement et pour qu’ils se nourrissent eux aussi. » (Peuple Kogi, Colombie)

« De l’aube au coucher du soleil, nous communions avec la nature : nous la remercions pour la belle journée que l’on a vécue. (…)La nature est notre mère, c’est elle qui nous nourrit, c’est elle qui nous renforce. » (Peuple Kariri-Xoco, Brésil). 

A suivre….

 

By: susanjanegolding
By: susanjanegolding

Photos : extrait de couverture de “Paroles de peuples racines”, et photo de Marishöri Smaniego Pascual, représentante du peuple Ashaninka par Marc Dozier, tirées du livre.

 

Ouvrage collectif sur le forum Ecologie et Spiritualité : « Ecologie, spiritualité : la rencontre », aux Editions Yves Michel,

ISBN : 978 2 913492 49 3

La quête spirituelle et l’épanouissement de l’humain n’ont pas de sens à l’ombre d’une terre dénaturée et d’un univers désenchanté. Une écologie, qui ne serait qu’un simple environnementalisme sans un regard sur notre nature intérieure, ne peut apporter de solution durable.

Le forum « Écologie et Spiritualité », qui s’est déroulé au Domaine d’Avalon en Savoie, et dont le présent ouvrage se fait l’écho, a permis une rencontre capitale: celle de personnalités éminentes, issues à la fois des traditions spirituelles et de l’écologie, mais plus encore, celle de deux mondes qui habituellement s’ignorent. Ecologistes, naturalistes et scientifiques d’une part, bouddhistes, hindous, chrétiens, sikhs, musulmans, juifs…, mais aussi représentants de traditions premières, Kogi et Quechua d’Amazonie d’autre part, se sont interrogés ensemble sur les racines de cette crise planétaire.

Cette rencontre, véritable creuset dans lequel ont jailli les réflexions les plus fécondes, a vu naître une vision éthique et spirituelle d’harmonie entre l’humain et la nature. Cet ouvrage est une anthologie des témoignages, des réflexions et des propositions de ces sages visionnaires.

Le lecteur trouvera dans ces pages toute la richesse de cœur et d’esprit de femmes et d’hommes dont la générosité, l’ingéniosité et l’intrépidité contribuent au « ré-enchantement du monde » et à la réalisation d’une société d’harmonie.

Ce livre au ton vivifiant est une invitation à conjuguer écologie et spiritualité, une alliance pour un changement profond des mentalités et une action durable sur le devenir de la planète.

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